L'interview du mois de décembre : Aurore Bourrel Lacaze
Par les actions combinées de la Caisse des Dépôts et de France Compétences, 2022 aura rappelé aux quelques 112 000 organismes de formation enregistrés en France que la formation professionnelle continue est d'abord et avant tout un marché réglementé.
En cette fin d'année, sur suggestion de deux lecteurs assidus et après mise en relation d'une lectrice tout aussi fidèle (que nous remercions tous les trois infiniment), nous avons décidé d'explorer le sujet de la comptabilité des organismes de formation.
C'est Aurore Bourrel Lacaze, Experte Comptable chez A&B Conseils, et qui accompagne bon nombre d'organismes de formation, qui a accepté de répondre à nos questions.
Qu'est-ce qui différencie la comptabilité d'un organisme de formation de la comptabilité classique ?
Comme vous le savez, la formation professionnelle continue est, en France, une activité réglementée par le Code du travail. L'arrêté du 2 août 1995 relatif à l'application des adaptations professionnelles du plan comptable général aux dispensateurs de formation professionnelle ayant un statut de droit privé encadre la comptabilité des organismes de formation. Il établit que tout organisme de formation de droit privé - ayant un numéro de déclaration d'activité valide, quelle que soit sa forme juridique, doit produire un plan comptable adapté.
Les organismes de formation de droit privé, qui réalisent un chiffre d'affaires total de plus de 15 244€* (article 2 de l'arrêté du 2 août 1995 susmentionné), sont tenus d'adopter un plan comptable adapté et d’établir chaque année un bilan et un compte de résultat dans lesquels les activités de formation doivent être clairement identifiées, dans des subdivisions comptables. Par ailleurs, dans l’annexe des comptes annuels doivent figurer des tableaux spécifiques retraçant l’activité de la formation.
* Le seuil de 15 244€ s’applique en cas d’activité unique - pas de seuil en cas d’activités multiples.
Quel est l'impact de cette obligation du plan comptable chez les organismes de formation qui ont une double activité ?
L'impact de l'arrêté du 2 août 1995 est simple à comprendre : les activités de formation doivent pouvoir être facilement identifiées dans les documents comptables de l'organisation, conformément au plan comptable applicable. Par exemple, le chiffre d'affaires et les charges doivent être éclatés.
Cette obligation s'applique à toutes les catégories d'actions reconnues par l'article L6313-1 du Code du travail : 1° Les actions de formation ; 2° Les bilans de compétences ; 3° Les actions permettant de faire valider les acquis de l'expérience ; 4° Les actions de formation par apprentissage. Ainsi, un organisme de formation proposant des actions de formation et du bilan de compétences devra clairement distinguer ces deux activités dans sa comptabilité.
Qui contrôle l’adoption et l'application de ce plan comptable adapté et quels sont les risques en cas de contrôle ?
Les contrôles sont diligentés par les services de l'État en région, les DREETS. L'absence de comptabilité séparée est passible de 4 500€ d'amende.
Selon les dernières données disponibles (2020), 20,32% des dysfonctionnements relevés par les DREETS étaient liés à l'absence de comptabilité séparée. Il s'agit du deuxième dysfonctionnement le plus constaté, derrière la publicité non conforme (26,08%) et devant l'absence ou la non conformité du règlement intérieur (13,85%).
Les DREETS, à l'instar de la DRIEETS Île-de-France ou la DREETS Occitanie, publient, sur leurs sites web respectifs, des guides à destination des organismes de formation - n'hésitez pas à les consulter.
Le code général des impôts prévoit que l'activité des organismes de formation peut être exonérée de TVA. Pouvez-vous nous rappeler le cadre et les règles qui régissent cette possibilité ?
Lorsqu'un organisme de formation est créé, il est soumis, de base à la TVA (sauf pour ceux d'entre eux dont le chiffre d'affaires total est inférieur à 34 400€, conformément à la règle de franchise en base de TVA). Le code général des impôts (CGI), dans son article 261-4-4°, permet effectivement aux organismes de formation qui le souhaitent de solliciter une exonération totale de TVA.
Cette démarche administrative, ouverte dès réception du récépissé de déclaration d'activité, est réalisée via le formulaire 3511, transmis à la DREETS de rattachement.
L'exonération est valable à partir de la date de décision de la DREETS en question et oblige l'organisme de formation à inclure la formule "exonérée de TVA — Art. 261.4.4 a du CGI" sur toutes ses factures.
La décision n'est en aucun cas rétroactive : cela signifie donc, très concrètement, que les ventes formalisées avant l'accord d'exonération demeurent soumises à TVA. Je précise d'ailleurs, pour les organismes de formation qui ont plusieurs activités, que l'exonération de TVA ne s'applique qu'à leurs activités de formation et qu'il conviendra d'appliquer des prorata de TVA sur les achats réalisés.
Il convient enfin de garder à l'esprit que cette exonération, conformément aux dispositions du CGI, est irrévocable.
Comment un organisme de formation peut-il s'assurer que l'exonération de TVA est un bon choix pour lui, sans se faire piéger par le caractère irrévocable de cette décision ?
Vous l'aurez compris, la décision de demande d'exonération de TVA doit être mûrement réfléchie.
Elle sera intéressante pour les organismes de formation qui travaillent directement avec des particuliers (stratégie de commercialisation B2C), beaucoup moins que ceux qui travaillent avec les entreprises (en B2B, les clients voudront récupérer la TVA pour la déduire de leurs déclarations).
De la même façon, l'exonération sera intéressante pour les formateurs indépendants, alors qu'elle introduira une taxe sur les salaires pour les organismes de formation employant des salariés.
N’oublions pas, non plus, que l’organisme de formation exonéré de TVA ne pourra pas déduire la TVA sur les achats qu’il réalise.
Certains organismes de formation ont l'obligation de nommer un commissaire aux comptes. Pouvez-vous nous rappeler les cas dans lesquels cela s'impose ?
Les organismes de formation de droit privé ont pour obligation de désigner un commissaire aux comptes s’ils atteignent deux des trois seuils suivants (article R6352-19 du Code du travail) :
3 salariés en contrat à durée indéterminée ;
153 000 € de chiffre d’affaires hors taxes ou de ressources ;
230 000 € au total du bilan.
Le dépassement de deux de ces trois seuils doit déclencher, en assemblée générale, la nomination d'un commissaire aux comptes. Je tiens à souligner que le niveau défini pour ces seuils est très bas et qu'ils s'appliquent à l'ensemble des activités de la structure enregistrée comme organisme de formation - et pas seulement aux activités de formation, pour celles d'entre elles qui ont d'autres activités. Il convient donc d'être extrêmement vigilant sur cette question.
Le rôle d’un commissaire aux comptes est de certifier la sincérité des comptes. Sous tutelle du Ministère de la Justice, il a pour obligation de faire remonter au Procureur de la République les faits délictueux dont il a connaissance au cours de sa mission.
Son rapport est annexé aux comptes annuels. Il est nommé pour deux ans minimum. L'absence de nomination d'un commissaire aux comptes est passible de 30.000€ d'amende, de 2 ans d'emprisonnement et de l'annulation de toutes les décisions juridiques prises lors des AG où sa présence était requise…
A quoi sert le Bilan pédagogique et financier que doivent envoyer, tous les ans, les organismes de formation ?
Le bilan pédagogique et financier (BPF) est une obligation administrative liée à l'enregistrement de son activité de formation auprès des services de l'État (articles R6352-22 à R6352-24 du Code du travail).
Le BPF, transmis à la DREETS via la plateforme https://www.monactiviteformation.emploi.gouv.fr/ avant le 30 avril de chaque année, centralise, pour chaque exercice comptable clos, les produits et charges associés à son activité de formation ainsi que des données quantitatives sur la qualité des stagiaires accueillis et les modalités de financement mobilisées.
C'est un document important en ce qu'il sert de base en cas de contrôle par les services de l'État. Tenir une comptabilité séparée sur les activités de formation permettra de faciliter la complétion du formulaire.
A noter qu'une absence de dépôt peut conduire au retrait du numéro de déclaration d'activité.
Y-a-t-il d'autres sujets comptables que nos lecteurs doivent avoir en tête pour leur organisme de formation ?
Le sujet du passage obligatoire à la facturation électronique est un enjeu majeur pour toutes les entreprises, et donc les organismes de formation. Si l'implémentation de cette réforme est progressive dans l'émission de factures (au 01/07/2024 pour les grandes entreprise, au 01/01/2025 pour les ETI et au 01/01/2026 pour toutes les autres), elle va néanmoins impliquer qu'à partir du 01/07/2024 prochain toutes les entreprises (notamment les sous-traitants des grandes entreprises) puissent non seulement accepter mais gérer de la facturation électronique.
Je recommande donc à tous vos lecteurs de s'intéresser au sujet de manière active et de prendre attache avec leur cabinet d'expertise-comptable pour apprécier l'impact de cette réforme sur leur activité. Pour ceux que ça intéresse, j'animerai d'ailleurs un webinaire dédié à ce sujet courant janvier 2023.
Quels conseils pourriez-vous donner aux organismes de formation qui nous lisent ?
J'invite tous les organismes de formation qui nous lisent à se replonger dans leurs derniers comptes annuels (dont les annexes) pour s'assurer que les éléments concernant leur activité de formation sont bien séparés. Et, si ce n'est pas le cas, de se rapprocher de leur cabinet comptable pour procéder à une mise à jour.
Je conseille enfin à tous ceux que l'exonération de TVA attire de bien garder en tête que l'exonération n'est jamais rétroactive et que son caractère irrévocable impose d'avoir bien peser le pour et le contre avant d'envoyer son formulaire à la DREETS.