L’interview imprévue du mois d’octobre : Bruno Fuchs
L'année 2022 est incontestablement celle de la régulation, notamment sur le front du CPF. De nouveaux moyens ont émergé, dans le courant de la semaine dernière, pour aider la Caisse des Dépôts à lutter contre les fraudeurs.
Alors que la Caisse des Dépôts publiait une nouvelle version de ses conditions générales d'utilisation (V8), encadrant beaucoup plus strictement l'accès à EDOF pour les nouveaux arrivants, l'Assemblée nationale adoptait, en première lecture, la proposition de loi visant à lutter contre les abus et les fraudes au compte personnel de formation.
La mesure phare de ce texte concerne l'interdiction du démarchage par téléphone, SMS, email et sur les réseaux sociaux et prévoit jusqu'à 375 000 euros d’amende pour les organismes de formation contrevenants. Il renforce par ailleurs le pouvoir de contrôle de la Caisse des Dépôts et simplifie ses moyens d'actions dans le cadre du recouvrement des sommes indûment perçues par les organismes de formation qui fraudent. Il s'attaque enfin aux stratégies créatives des organismes de formation qui utilisent portage et sous-traitance pour contourner Qualiopi.
Nous nous sommes entretenus avec Bruno Fuchs, député de la 6ème circonscription du Haut-Rhin et rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée pour comprendre la portée et les conséquences de ce texte.
Pourquoi était-il important de légiférer sur ces pratiques de démarchage ?
Il convenait de mettre un coup d’arrêt à un phénomène qui a pris une ampleur considérable. Si on peut se féliciter du succès de la réforme du CPF, les pratiques de démarchage ont généré une telle gêne aux usagers et une telle fraude au financement qu’il était urgent d’agir. Si la DGCCRF (NDLR : Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) est mobilisée depuis le début sur le sujet, il était temps de changer de braquet.
Il est également important de souligner que les pratiques abusives de démarchage se faisait largement au détriment de la qualité des parcours de formation - les fraudeurs jouant sur le contenu pour gagner en marge.
Une première initiative en fin de mandature précédente avait échoué, faute de temps. Le moment était désormais venu d’agir sur le sujet, d’autant que l’ensemble des groupes parlementaires étaient alignés.
Ce texte ne risque-t-il pas de complexifier les stratégies marketing et communication des organismes de formation ?
Cette proposition de loi n'a pas vocation à empêcher les organismes de formation de communiquer pour promouvoir leurs offres - j'ai moi-même été directeur d'un organisme de formation et j’ai été très attentif à ce que ce texte n'entrave pas la liberté du plus grand nombre.
L'interdiction de démarchage ne vaudra que pour le CPF et vise à remettre les choses dans le bon sens.
Ce sont bien les français qui disposent de droits et qui doivent choisir les formations les plus adaptées à leurs parcours professionnels - et non les opérateurs des organismes de formation qui démarchent. Interdire le démarchage, ce n’est pas interdire la communication ni la publicité.
La proposition de loi s’attaque également aux pratiques de portage et de sous-traitance, qui se sont développées depuis 2019. Pourquoi en avoir profité pour légiférer sur ce sujet ?
Les pratiques de portage et de sous-traitance que vous évoquez sont la conséquence d’une faille dans le système. Comme vous le savez, une certification Qualiopi valide est obligatoire pour tous les organismes de formation qui souhaitent commercialiser sur Moncompteformation - sous réserve, bien évidemment, d’éligibilité de leurs parcours. Très rapidement se sont développées des pratiques de portage et de location de certification Qualiopi qui permettent à des sociétés peu scrupuleuses d’accéder aux financements sans en détenir les droits en propre.
Un décret en Conseil d’État viendra préciser les modalités d’encadrement de manière plus précise et opérationnelle et permettra à la Caisse des Dépôts de procéder à des déréférencements en cas de manquements. Nous sommes déterminés à lutter contre la fraude et à améliorer la qualité du catalogue de formations finançables.
Quand ce texte entrera t-il en vigueur ?
Adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, le texte poursuit son chemin au Sénat, où il devrait être mis en discussion et au vote courant décembre. Si nous allons évidemment suivre les débats de très près, les premiers échanges organisés avec les sénateurs me laissent confiant sur un vote du texte en l'état. Cela permettrait une publication des décrets d'application dès début 2023.
L'adoption de cette proposition de loi ouvre-t-elle plus largement des travaux sur un complément de réforme à 2018 ?
Effectivement. Il est de mon point de vue important de poursuivre l'effort sur la professionnalisation des formations, notamment celles éligibles au CPF. En effet, dans un contexte où le volume des droits mobilisables par nos concitoyens augmente (NDRL : chaque Français acquiert 500€ de droit tous les ans, dans la limite de 5 000€ sur 10 ans), avec des enveloppes atteignant les 3 000€ voire 4 000€, il devient essentiel de s'assurer que les formations financées s'intègrent pleinement dans les parcours professionnels.
Pour en savoir plus et suivre l’actualité du projet de loi, n’hésitez pas à consulter
le dossier législatif complet sur le site de l’Assemblée nationale : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/alt/lutte_fraudes_compte_personnel_formation
le dossier législatif complet sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-032.html
le dossier sur le site toujours très pédagogique de Vie Publique : https://www.vie-publique.fr/loi/286642-proposition-de-loi-fraude-au-compte-personnel-de-formation-cpf